Jusqu'à ce que la mort nous sépare
Une comédie noire taillée au scalpel du boulevard (03/04/2013)

Remi De Vos n'a pas son pareil pour boucler en une 75 minutes une tragédie intime entre mort et mal de vivre... en rendant le public hilare ! Un rire cynique, exutoire, mais chevillé à la mécanique implacable des recettes de parfait vaudeville : quiproquos, cachoteries, répétitions, chutes et logique du délire verbal! "Jusqu'à ce que la mort nous sépare" (2002) n'a peut-être pas la force corrosive de "Occident" (mis en scène au Rideau par Frédéric Dussenne) mais cette autre pièce de Remi De Vos montée aujourd'hui au Public par Valérie Lemaître, mérite le détour.

Tout commence par un retour de crémation, celle de la grand mère, dans "un intérieur réaliste donnant l'impression d'une modestie laborieuse" : la scénographie de Céline Rappez colle ici parfaitement aux didascalies de De Vos. S'ensuit le dialogue longtemps et lâchement retardé d'une mère et de son fils, rejoints par l'ex-copine amoureuse. La chute de l'urne et l'éparpillement des cendres... sur le tapis du salon, déclenche une cascade de mensonges. Geste malencontreux qui a tous les airs d'un lapsus. Les scellés du non-dit sont brisés !

L'art de Remi De Vos vous entraîne dans des situations très concrètes, franchement drôles, mais doublées d'une autre dimension, d'une réflexion amère sur ce qui lie mère et fils... Et l'on ne s'étonnera donc pas du refrain maternel - "tu n'as pas faim ? Je peux te cuisiner quelque chose"- tandis que l'autre grignote seul des bonbons, des madeleines... Clin d'oeil régressif ! La présence de la jeune femme, en mal de se dégoter un mari et de quitter ainsi l'entreprise paternelle (même combat!) ne dénouera sans doute pas les fils de la maternité étouffante, manipulatoire, ni les tentatives d'envol hors de la cuisine familiale, ni la solitude, la vieillesse, la vie sans joie, que masquent mal les récriminations de l'une et la culpabilité de l'autre... Si la pièce file à bonne allure, Rémi De Vos siffle aussi des arrêts de jeu, le temps d'une mise au point monologuée, d'une confidence partagée avec les spectateurs. Sans être spectaculaire, la mise en scène de Valérie Lemaître moule cette langue savoureuse et musicale, concise et ... roublarde. Une belle performance de Françoise Oriane, petite silhouette noire, plus finaude qu'on n'imagine, de Vincent Doms, en mal-être permanent, en jeu décalé, et de Flavia Papadaniel, au sens comique très affuté.

Michèle Friche pour Le soir

Duel d’une mère et un fils (04/04/2013)

Une comédie noire de Rémi De Vos au Théâtre le Public.

Pas aussi cinglante que la pièce "Occident" (montée au Rideau de Bruxelles par Frédéric Dussenne en 2011), "Jusqu’à ce que la mort nous sépare" (2002) mise en scène au Théâtre Le Public par Valérie Lemaître cristallise toutefois le même humour noir, la même ironie. Simon, la trentaine, retourne chez sa mère le temps d’un week-end à la mort de sa grand-mère. Au retour de la crémation, à peine attristé par la disparition de cette femme qu’il n’avait pas vue depuis des années, il n’est pas plus ému par le chagrin de sa mère qu’il avoue détester un peu. Dans cette atmosphère de "retrouvailles" légèrement tendue surgit Anne, l’ex-amoureuse qui a été élevée par son père célibataire (en miroir du duo qu’il forme avec sa mère !) et tout bascule quand, dans un mouvement de rapprochement maladroit, l’urne contenant les cendres de la grand-mère explose sur le tapis du salon S’ensuivent une série de mensonges dignes du vaudeville le plus absurde ! Simon et Anne tentent de récupérer les cendres dans un sac plastique et d’évacuer les dernières traces sous le tapis alors que les cendres volettent dans toute la pièce.

Pas d’échappatoire

Plus la mère, inquisitrice et parfois irritante, pose des questions quant à la disparition de l’urne et l’apparition d’un sac en plastique, plus le fils s’emmêle dans ses explications de plus en plus tirées par les cheveux. De quiproquo en situations absurdes, une sorte de piège se referme sur Simon, pris entre trois figures féminines. La scénographie de Céline Rappez, qui place le public en trifrontal autour d’un salon désuet et réaliste accentue le sentiment d’enfermement. On ne révélera pas la fin de cette comédie noire mais elle pourrait correspondre à l’adage "tel est pris qui croyait prendre".

Si les comédiens, Françoise Oriane, Flavia Papadaniel et Vincent Doms (au jeu en décalage avec ses partenaires) ne parviennent pas toujours à donner du rythme et de la musicalité au texte redondant de Rémi De Vos, les scènes proches de l’absurde déclenchent l’hilarité du public tout comme les apartés où Simon se confie à un spectateur. Une comédie noire poussive parfois mais cynique à souhait.

Camille de Marcilly pour La Libre Belgique